L’auteur de Le chien, la neige, un pied, (Anacharsis, 2017) aime le chiffre 3 puisque son nouveau roman s’intitule Choses, bêtes, prodiges. L’analogie ne s’arrête pas là ; les deux histoires à la fois cruelles, fascinantes et profondément « humaines » sont de celles « que l’on se raconte le soir à la veillée ».
Et si je m’attarde sur la symbolique du chiffre 3, je découvre que ce chiffre « évoque le passé, le présent et le futur ; qu’il symbolise la naissance, la vie et la mort. Qu’il permet de distinguer le monde matériel du monde spirituel et du monde divin, tout en rassemblant le corps, l’âme et l’esprit. »
Diable ! C’est tout à fait cela. Et le narrateur de se métamorphoser en Cosimo. D’abord enfant qui nous balade dans son quartier, nous fait escalader les montagnes avec ses copains, enfin les monticules de sable des terrains vagues près de chez lui ; profite de notre attention de lecteur déjà accroché pour parler de Dieu ; nous oblige à chercher des fossiles avec lui et Aurelio ; nous présente sa grand’mère fumeuse de cigares et ses escargots qui dégorgent … pour ensuite évoquer l’adolescence avant l’âge adulte, celui des responsabilités, des soucis, des espoirs et des déceptions.
C’est en douceur, que je me suis laissé envoûter et emporter dans un monde magique, qui rappelle l’univers d’Italo Calvino avec son Baron perché, ou celui de Bernard Quiriny et ses Contes carnivores. Au détour d’un fragment – tout le roman est constitué de fragments – me voilà en compagnie de l’homme « qui avait mal vieilli » au bord du delta, qui pêche à mains nues, et qui voulait faire de Cosimo un … mais j’arrête là. Ensuite je passe un moment – un long fragment – en compagnie des parents de Cosimo et d’Abel, leur cochon bien aimé … Enfin je trépigne d’impatience pour en savoir davantage sur Cosimo et ses drôles de compagnons, à l’affût sur les toits de lauzes des maisons, épiant ces drôles de « choses », ces bulles opalescentes qui grimpent, s’installent, s’étendent, grossissent …
Autant de saynètes dignes des romans de Gabriel Garcia Marquez et de son réalisme magique. Autant de situations qui nous parlent du temps qui passe, de l’enfance, de l’image de soi et du regard des autres, de la vieillesse, de la maladie, de l’amour, de la mort et du formidable pouvoir de l’imagination.
Et puis cette écriture stylée, acerbe, jubilatoire comme dans la mercerie où Cosimo attend son tour : « Sept ou huit femmes devant moi ? J’oubliais toujours de les compter. En revanche, je m’efforçais de retenir leurs traits, pour les distinguer de celles qui entreraient après moi. Mais j’avais beau me concentrer, leurs visages me semblaient tous identiques, tous pareillement enflés, avec un double menton mou, des lunettes aux montures épaisses, des brushings en bout de course, des rouges à lèves mal appliqués sur des bouches ridées, des moustaches solitaires, identiques jusqu’à leurs grains de beauté et leurs poireaux entre le nez et les joues, et leurs boucles d’oreilles minuscules … ».
Après un début un peu difficile pour moi, pour « entrer » dans le roman, ne comprenant pas où le narrateur voulait m’emmener, je me suis laissé porter par la fluidité du récit, sa belle écriture, ses personnages atypiques et l’absolue certitude que oui, il y a quelque chose caché derrière le placard.

(Claude Muslin, Les Automn’Halles, Festival du Livre de Sète)

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