Sur les traces d’un souvenir d’enfance, une jeune ethnomusicologue se rend dans le village de Crottarda, pour y étudier les chants des bergers locaux. Bien loin des villages de montagne charmants et touristiques, Crottarda est un hameau reclus dans une vallée isolée où le soleil brille à peine quelques heures par jour au cœur de l’été.
La jeune femme a pris une chambre chez Mme Verdiana, qu’à sa grande déconvenue elle devra partager avec la nièce de celle-ci, Bernardetta, 16 ans, orpheline, sauvage, envahissante et fantasque, qui passe son temps à courir la montagne et à raconter les histoires les plus farfelues.
Farfelus, les Crottardais le sont aussi : ils ont pour coutume d’ « accueillir » les rares visiteurs en se déguisant en monstres difformes pour les effrayer. Mais la chercheuse, dont l’arrivée était attendue, échappe à ce rituel et est reçue avec bienveillance par les habitants.
Une bienveillance qui lui semble rapidement excessive, outrancière, forcée voire intrusive, mais qu’importe, elle est là avant tout pour travailler. Peu à peu cependant, elle se rend compte que les Crottardais se ferment, deviennent méprisants puis carrément hostiles. Il faut dire que la jeune femme a commis l’impardonnable : elle s’est rendue au village d’Autelor, sur le versant ensoleillé de la montagne, dont les habitants sont les ennemis jurés de Crottarda depuis la nuit des temps sans que quiconque se rappelle les raisons de cette féroce rivalité entre Ceux d’En-Bas et Ceux d’En-Haut.
Pour la jeune femme, l’ambiance passe donc de la sérénité à la méfiance, l’inquiétude, l’angoisse, la paranoïa, la peur, sans compter que ses recherches piétinent. Pourquoi donc les Crottardais sont-ils devenus si malveillants à son égard ? Pourquoi n’arrive-t-elle pas à identifier celui/celle/ce qui émet ces chants si beaux et inouïs qu’elle entend au milieu de la nuit ?
Entre soleil et obscurité, réalité et délire, bon sens et folie, on oscille avec la narratrice dans ce village glacial, noirci et transi d’humidité. Avec elle, on cherche à comprendre ces comportements lunatiques, incohérents, inexplicables, on se demande si ces chants sont un vaste canular, s’ils sont réels, hallucinés ou magiques.
L’auteur s’y entend pour nous faire ressentir au plus profond des os l’étau de l’humidité et la brûlure du soleil, et cette atmosphère glauque, glaciale et malaisante, pour nous faire osciller entre ciel lumineux et souterrains inquiétants, entre extravagance et silence, absurdité et onirisme. Comme ces Crottardais qui oscillent « entre le besoin de se cacher et la nécessité de sortir à découvert, de respirer l’air de dehors ; entre l’exigence de s’exprimer et le mutisme, entre un festin des sens, de tous les sens, y compris ceux que nous autres ne savons plus exercer, et la fermeture de tous les orifices dans le silence, dans l’obscurité complète, dans l’absence de contact ; entre un au-dessus qui s’éloigne et devient inatteignable, ou qui écrase et oppresse, et un au-dessous dans lequel s’enfoncer, enfin, et continuer de nourrir du ressentiment et des inquiétudes ; entre humain et non-humain ; entre vivant et non-vivant ».
Un roman à la lisière du fantastique, étrange, original, tendu, sinistre, envoûtant.
(Sylvie Vander Donckt, Voyages au fil des pages)
