Le chien, la neige, un pied : l’intitulé a la simplicité sévère d’un programme. Il annonce les trois événements qui vont baliser la dernière année d’Adelmo Farandola – son nom même résonnant comme une farce du destin. Adelmo n’est qu’un vieux fou qui, bon gré mal gré, a renoncé à tout, et survit au fond d’une combe dans un farouche isolement. L’auteur, sans toutefois trop s’y appesantir, ne nous épargne rien des pestilences et des obsessions de l’ermite. Quel personnage ! L’homme a la mémoire qui flanche ; il vit dans un éternel présent (d’une semaine sur l’autre, il a oublié qu’il a fait sa visite annuelle au village pour s’y ravitailler) ; il n’a ni passé, excepté les bribes de souvenirs aléatoires qui lui traversent l’esprit, ni futur, sinon la certitude d’avanies redoublées. C’est en somme un être hybride, tenant à la fois de l’humain ou à ce qu’il en reste : sa part d’indestructible et son langage (car il est, à son sujet, en perpétuel entretien avec lui-même), de l’animal (il est à tu et à toi avec les bêtes du voisinage) et même du minéral (la crasse lui servant de cuirasse). Ce Robinson des Alpes a son Vendredi – un chien, de la race bavarde, madrée, au fait des bonnes manières. L’ouvrage lui-même est d’une substance composite. D’abord d’un réalisme cru, il vire bientôt au conte : les animaux rouspètent, une épaisse croûte de neige ensevelit, tout l’hiver, la cabane et ses occupants, un mauvais pressentiment infecte le quotidien. La découverte, au printemps, d’un pied gelé dans une coulée d’avalanche, ça ne peut pas être un hasard… Le livre a la sibylline cruauté des comptines – il aurait d’ailleurs fallu peut-être lui laisser son titre original : Neve, cane, piede.

(Franck Adani, Etudes – Revue de culture contemporaine, octobre 2017)

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