Voici la dernière livraison des éditions Anacharsis, maison rocambolesque et savante, dont la collection « Fictions » est souvent très généreuse en coups tordus portés à l’univers romanesque et bien dotée en raconteurs d’histoires aussi doués qu’allumés. Il s’agit d’une première traduction d’un auteur italien qui on l’espère fera long feu.
Adelmo Farandola est une de ces gueules comme on en voit plus beaucoup mais qui peuplaient alors nos montagnes. Solitaire, hirsute, le mot rare, il descend de sa cabane perchée et isolée une fois ou deux l’an quand les provisions viennent à manquer. Le langage n’est pas trop son affaire (en tous cas avec ses semblables mais n’en disons pas trop…) et ce que l’on pense, au début de cette histoire, pouvoir mettre sur le compte d’une mémoire défaillante révèle des crevasses, des fosses (usons de ce lexique des cimes, il a son importance) qui seront les balises vertigineuses dans lesquelles nous naviguerons à vue tout au long de ces 140 pages.
Dans ces montagnes italiennes, il se passe des choses. Mais la neige souvent recouvre tout, jusqu’à l’esprit du brave et inquiétant Adelmo. Les saisons s’enchaînent et le temps lui-même semble perdre connaissance. Le silence est assourdissant et la solitude, parfois mauvaise compagne, commence d’animer ce qui ne l’est pas et fait parler ce qui en général se tait. Les perceptions se diluent et se mélangent. On ne dévoilera pas l’intrigue qui ménage un suspense psychotique dans lequel il vaut mieux se perdre. Un chien apparaît quand même (et c’est pas rien dans cette histoire), qui va peupler le royaume sauvage du bonhomme, engagé dans un voyage au bout d’une longue nuit battue par les vents, la caillasse et les trous noirs. Ce chien, dans cette indigence de langage, plus qu’un compagnon ou un guide, sera son principal interlocuteur…
Vous l’aurez compris, il ne faut pas trop chercher dans ce petit livre d’une grande qualité d’écriture les atours d’une simple chronique montagnarde. Le dérèglement est ici le maître du jeu et cette histoire la fille perturbée de Giono et de Stephen King, si on pouvait oser la comparaison. La dimension sauvage radicale, inquiétante et qui rogne imperceptiblement tout ce qui est à sa portée ajoute encore à la beauté élémentaire, parfois cocasse qui court tout au long de ces pages dont on vous recommande chaudement la lecture.
(Bertrand, La Fabrique à Chroniques, blog officiel de l’Espace Culturel E. Leclerc)