Adelmo Farandola vit en ermite sur la montagne, reclus dans un vieux chalet situé au fond d’une cuvette pierreuse où ne poussent que les herbes folles. Cela fait longtemps qu’il a oublié l’avant. La vie trépidante de la vallée d’Aoste, le ballet incessant des faisceaux lumineux des voitures se rendant au complexe touristique bâti là par des promoteurs très affairés. Préférant vivre chichement de la chasse et de quelques denrées achetées au village, en bas, il côtoie avec délectation l’âpreté minérale de la montagne, avec pour seule compagnie une crasse entretenue avec méthode par le refus de toute hygiène corporelle. Mais, les hivers sont long sur cette vigie au sommet du monde. Ils se succèdent sans que rien ne vienne rompre l’impression d’intemporalité où se complaît Adelmo. Ils apportent leur lot de dangers, le poids de la neige pesant sur le toit du chalet, les avalanches provoquées par le dégel et la faim lancinante comme unique compagne. Jusqu’au jour où surgit un chien, vieille bête errante qu’il finit par adopter après avoir tenté de le repousser en vain, à coups de cailloux. L’ermite entame  alors une discussion avec l’animal, lui confiant ses pensées, ses souvenirs et son agacement, notamment sur ce garde-chasse qui ne cesse de l’observer à la jumelle. Le fonctionnaire factionnaire décide d’ailleurs finalement de venir s’enquérir de sa personne, le questionnant sur ses activités et s’inquiétant pour sa santé. Heureusement, le retour de l’hiver vient interrompre cet envahissement fâcheux. Avec le chien, Adelmo retourne à sa solitude, dans la luminosité glaciale des congères et les incertitudes du quotidien hivernal, guettant le redoux annonciateur du printemps. Ensemble, ils observent le lent recul de la neige, découvrant un pied qui émergent d’une avalanche. Pas un sabot ou une patte de chamois, mais bien un pied humain, noircit par la froidure.

Le Chien, la neige, un pied fait partie de ces petites histoires qui, sous une apparence anodine, distille le malaise et le doute. Avec le personnage d’Adelmo Farandola, Claudio Morandini s’inscrit dans la tradition du narrateur non fiable, épousant à dessein le point de vue vacillant d’un homme que l’on sent sur le point de dévisser. On ne sait pas grand chose en effet des raisons qui l’ont poussé à cette réclusion sur la montagne. Une misanthropie irrésistible, un traumatisme lié à la Seconde Guerre mondiale, un passif chargé l’ayant contraint à disparaître. Le bonhomme ne se montre guère prolixe, ne livrant les informations que par bribes pendant ses conversations avec le chien. On comprend rapidement qu’il oscille sur le fil de la folie, un trouble que vient précipiter l’hiver de trop et le surgissement d’un pied, signe de mauvais augure qui le pousse à s’interroger sur sa responsabilité dans cette mort. Avec le chien, une étonnante complicité se tisse peu-à-peu. L’animal se fait le miroir de l’ermite, lui renvoyant l’image de sa propre animalité. Il fait également office de bouée de sauvetage, permettant à Adelmo de ne pas succomber à la folie, de résister à la lente désagrégation de sa mémoire, tout en conservant un vernis d’humanité.

Puissamment panthéiste, le roman de Claudio Morandini met en scène une nature indifférente à l’homme et au drame intime qui se noue dans la cuvette où vit Adelmo. Se manifestant surtout par sa majesté lointaine, ses avalanches meurtrières, ses glissements de terrain et chutes de pierre, la montagne rappelle à tout instant la petitesse de l’être humain et son inhérente fragilité.

Avec Le Chien, la neige, un pied, les éditions Anacharsis ont déniché un roman original, doté d’une puissance d’évocation que n’aurait pas désavoué un Jean Giono, et qui heureusement n’est pas gâché par le chapitre ultime, histoire de l’histoire superflue et un tantinet hors de propos.

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