Le chien, la neige, un pied : tragi-comédie dans les Alpes italiennes !

L’auteur italien Claudio Morandini signe avec Le chien, la neige, un pied un roman à l’atmosphère étrange qui pourrait être une légende qu’on se raconte, à la veillée, au coin du feu. L’humour de ce conte cruel sur la vieillesse, la solitude et la marginalité ajoute au cocasse de cette histoire captivante.

Adelmo Farandola vit seul, isolé dans un misérable chalet d’alpage. Tout approvisionnement au village, en contrebas, relève de l’expédition. Pourtant, en cette fin d’automne, alors que « des vents glaciaux balaient le vallon » et que les « nuages s’épaississent, s’amoncellent [au point que] plus rien ne les arrache aux parois rocheuses », il se prépare à y descendre pour acheter les vivres dont il a besoin pour passer l’hiver : de la viande séchée, des saucisses, du vin et du beurre. Le vent le fait ployer pendant sa marche vers le village. Mais il sait que ce n’est finalement que peu de choses en comparaison au chemin du retour, quand il devra porter un sac chargé sur son dos en montant la pente.
Au village, l’épicière le reconnaît et lui rappelle qu’il est déjà venu il y a peu de temps. Est-ce la première ou la deuxième fois qu’Adelmo entre dans l’épicerie à quelques jours d’intervalle ? Sa mémoire est confuse. Son hygiène est si négligée qu’il incommode. On lui demande de laisser la porte ouverte. Et les longs mois de solitude et de silence lui ont fait perdre sa capacité à communiquer : il ne sait plus converser. Perdu dans les conventions sociales, il se presse de remonter à l’alpage. Le dénivelé le fait souffrir autant que le vent mordant. Lorsqu’il arrive à son chalet, quelques heures plus tard, un chien l’attend.
Avec Adelmo Farandola, Claudio Morandini compose un personnage énigmatique, à l’opposé du vieux montagnard vivant en harmonie avec la nature. Adelmo perd le sens des choses et des gestes. Mais il ne se rebelle pas, au contraire, il se cache. Et prend des décisions qui sont pour le moins incompréhensibles. Lorsque l’hiver s’installe sur le minuscule chalet d’alpage et que la neige l’ensevelit, l’isolement d’Adelmo Farandola est à son paroxysme.

C’est alors que le chien se met à parler.


« – Il y en a d’autre pour moi ? demande [le chien].
– Tu viens à peine d’avoir ton repas !
– C’était un bout de pain sec. Tu veux que je meure, là, devant toi, c’est ça ? Je dois me nourrir, je ne peux pas faire semblant. Un bout de pain, ça ne suffit pas.
– Tu n’auras pas de mon vin.
– Tant pis pour le vin. Je pensais plutôt à un petit bout de saucisse.
– Ben tiens.
– Les chiens sont carnivores, le pain sec ne nous suffit pas, on n’est pas des poules, avec tout le respect que j’ai pour les poules. »


Claudio Morandini fait basculer le récit en introduisant ce chien qui parle tant qu’il en paraît même bavard. C’est lui, le chien, qui adopte Adelmo Farandola et décide de passer l’hiver en altitude avec l’homme. Il l’aide à ne pas sombrer dans l’inconscience. Le chien « est indispensable à l’économie du récit car il introduit l’humour. Et il donne l’occasion à Adelmo Farandola de retrouver son humanité », souligne l’auteur.
Le dialogue entre le chien et l’homme semble normal. On accepte que le chien parle. À ce moment, Claudio Morandini laisse deux possibilités au lecteur : « soit il [le lecteur] accrédite la thèse de la fable, et alors il est normal que les animaux parlent dans une fable, soit il considère le chien comme une projection de la pensée d’Adelmo. »

J’aime cette ambiguïté qui alimente tous mes livres. On oscille entre vision réaliste et rêve. 

La dimension théâtrale des dialogues et l’humour placent Le chien, la neige, un pied dans le registre de la tragi-comédie. « Je ne voulais pas étudier un cas de folie clinique », précise Claudio Morandini. Ce qu’il réussit parfaitement grâce à sa construction de scènes sur le modèle des scènes de théâtre. L’apparition d’un pied à la fonte des neiges fait changer le récit de direction pour aller vers une dimension plus irréelle encore. Avec Le chien, la neige, un pied Claudio Morandini poursuit son exploration des atmosphères de l’étrange qu’il avait déjà mises à l’oeuvre dans Les pierres, où il racontait la relation entre une communauté de montagne et les pierres qui constituent son environnement. Ici, dans ce récit, la comédie a toute sa place.
Auteur de huit romans dont seulement trois sont traduits en français, Claudio Morandini est reconnu comme l’une des voix les plus originales de la littérature italienne. Laura Brignon a obtenu le prix Lire en Poche 2021 pour sa traduction de Le chien, la neige, un pied, roman original et captivant, conte cruel et cocasse.

(Florence, Jusque Tard Dans La Nuit, 24 décembre 2021)

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