Quelles belles heures de lecture j’ai passé avec ce livre.
Claudio Morandini nous explique que cette histoire est plus ou moins vraie. Son point de départ vient d’une rencontre fortuite avec un ermite lors d’une balade en montagne. Le reste, il l’a brodé.
Adelmo Farandola est un vieil homme, il vit seul, isolé en montagne. Il braconne pour manger et descend quelque fois au village acheter ce dont il a besoin et que la nature ne lui procure pas. Il a décidé de ne plus se laver depuis un certain temps (j’avoue que c’est un passage difficile à lire pour moi, il décrit bien Mr Morandini !!!). Il vit dans une petite vallée dans les alpages pratiquement inaccessible.
Les années passent sur Adelmo, sa mémoire continue à s’amoindrir. Il est obligé de chercher longtemps pour savoir s’il a vu ou non telle chose. Un jour, il accueille un chien perdu. Ils deviennent amis. Le chien lui parle, il lui rappelle ce qu’il oublie. 

Page 41. On dirait parfois que le chien est un appendice de l’homme. Il est collé à lui, il se frotte contre son mollet, il ne perd pas un seul de ses gestes, si bien queAdelmo Farandola ne réussit pas à l’éloigner avec un coup de pied, car l’animal fait quelques virages en gémissant pour recomposer sa douleur, puis il revient se frotter contre son compagnon.
D’autres fois, en revanche, un besoin imprévisible pousse l’animal à partir en solitaire, la truffe basse et le pas léger, sur des traces que lui seul sait percevoir. Alors, pas même les cris du vieux qui se découvre soudainement esseulé ne le rappellent en arrière. Le chien part, il est déjà parti, et il suit avec une assurance étonnante une piste mystérieuse, linéaire ou ondoyante. Il contourne des pierres, coupe des sentiers, dépasse des arbustes et des squelettes d’arbres sans vraiment regarder, ne s’en remettant qu’à son flair. Voilà, il est parti, caché, lointain. Il restera en balade pendant des heures et reviendra dans la soirée, voire même dans la nuit. Adelmo Farandola l’entendra gratter à la porte et pleurer, mais il ne lui ouvrira pas, pas tout de suite du moins, pour le punir de l’avoir abandonné et de lui avoir préféré un sillage odorant.

Un garde forestier passe régulièrement dans les environs. Que lui veut-il ? Pourquoi l’épie-t-il ? Pense-t-il qu’il braconne ? Lui veut-il du mal ?
L’hiver s’installe, sa mémoire défaille de plus en plus, il passe la mauvaise saison à faire la conversation au chien, et celui-ci lui répond. Arrive le printemps, enfin ! Doucement les températures remontent, la neige fond peu à peu.

Pages 102-103 Au bout de quelques semaines, à force de chauffer l’avalanche, le soleil finit par la faire fondre. Il en naît de nombreux ruisseaux qui se perdent aussitôt dans les labyrinthes creusés dans la neige et réapparaissent, grondants, plus bas, là où le fond herbeux de la cuvette se transforme en pierrier avant de dégringoler vers la vallée. C’est une eau bruyante et glaciale, elle jaillit comme une créature vivante et effraie le chien, qui aboie contre elle.
« Pourquoi tu aboies ? demande Adelmo Farandola.
–   Ben, parce que… Tu ne vois pas ?
–   C’est de l’eau, à quoi ça sert que tu aboies ?
–   C’est de l’eau ?
–   Oui.
–   Ça n’y ressemble pas. »
Quel chien stupide, pense Adelmo FRandola. Mais c’est vrai, on dirait que cette eau est vivante, on dirait qu’elle s’échappe au loin, qu’elle va se mettre aux abris.
Un soir, quand les corbeaux sont repartis et que la nuit est sur le point de tomber, le vieux monte sur l’avalanche gelée et s’approche de la couverture. Il l’écarte et voit toute une jambe.
Nous  y voilà, pense-t-il. D’ici peu, je saurai de qui diable il s’agit.
« On remarque quelque chose ? » demande le chien dès qu’il le voit redescendre.
Adelmo Farandola ne lui répond pas, il rentre dans le chalet et laisse le chien dehors jusqu’à ce qu’il l’entende pleurer et gratter à la porte.

Un jour en se promenant,  ils trouvent un pied humain tout près de la cabane, enterré sous une avalanche. Les questions se bousculent, mais Adalmo ne se souvient pas vraiment ce qui s’est passé l’automne dernier. D’ailleurs chaque jour, il redécouvre le pied, car d’un jour à l’autre il ne se rappelle pas l’avoir déjà trouvé.
C’est un roman très bien écrit. J’ai un peu pensé aux paysages de Ramuz en le lisant. Il y a longtemps que je n’ai pas vu la montagne, et j’ai adoré la parcourir avec Adalmo Farandola et son chien bavard. C’est un livre original, qui fait du bien.

Première page

Les premiers signes avant-coureurs de l’automne poussent Adelmo Farandola à descendre au village pour faire des provisions. Le matin, en sortant du chalet, il voit autour de la bâtisse l’herbe des prés saisie dans un givre qui peine à fondre. Des vents glaciaux balaient le vallon, s’insinuent entre les murs du chalet, semblent frapper à la porte, le jour et la nuit. Les nuages s’épaississent, s’amoncellent, plus rien ne les arrache aux parois rocheuses.
Alors en route, avant qu’il ne soit trop tard et qu’une chute de neige ne rende le parcours pénible.
Adelmo Farandola marche, son sac arrimé au dos. Il a besoin de viande séchée, de saucisses, de vin et de beurre. Les patates qu’il a mises de côté suffiront  pour l’hiver. Elles sont rangées dans l’obscurité de l’étable, à proximité de vieux ustensiles, cuves, cordes, barattes, chaînes, brosses, et elles tendent leurs germes pâles comme pour faire des chatouilles. Les patates, il y a ce qu’il faut, les pommes aussi – des cageots de pommes que le froid renfrognera, mais elles resteront comestibles. Adelmo Farandola aime le goût de ces pommes revêches, un goût acerbe qui irrite ses dents et s’accroche aux poils de ses narines, sa vague saveur de viande, de cette viande faisandée qu’il reste après une chasse généreuse.

(Jeanlau, De Bloomsbury en passant par Court Green)

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