Neve, cane, piede est un livre rempli de bruits et de silence, d’odeurs, de pierres, de neige. Et d’animaux, d’oiseaux, de chamois, bouquetins et autres rongeurs et insectes. Il y a aussi un chien qui, après avoir été violemment repoussé, deviendra une sorte d’appendice et d’interlocuteur – il est doté de parole – pour Adelmo Farandola.
Adelmo Farandola, c’est le vieil homme solitaire et ombrageux qui vit, retranché du monde, sur l’alpage et qui accueille à coups de pierres les touristes ou randonneurs qui se risquent sur ses terres, un vallon sauvage, escarpé et inhospitalier. La même hostilité est réservée au jeune garde-chasse qui l’observe de loin à la jumelle (comme il observe les animaux) ou qui vient, mine de rien, s’enquérir de son bien-être, de son fusil, de son permis de chasse. Toute approche est vécue comme intrusion, comme agression.
L’histoire commence en automne : le vieil ermite est descendu au village pour s’approvisionner en vue de l’hiver qu’il passera, doublement reclus, sous la neige. Mais l’étonnement et la moquerie qui l’accueillent à l’épicerie réveillent sa mémoire nébuleuse : il était descendu la semaine précédente et les provisions sont déjà entassées dans l’étable…
De la mémoire défaillante d’Adelmo Farandola vont surgir des souvenirs. Des hommes en capotes grises qui pourchassaient les réfractaires, des fusillades, les boyaux d’une mine de manganèse abandonnée et qui devint un refuge pour le jeune fuyard. L’existence d’un frère, propriétaire lui aussi du vallon. Une ligne à haute tension qui rendait fou et dont le vrombissement permanent l’obsède encore.
Ces souvenirs s’entrecroisent avec les délires du vieil homme et les dures réalités quotidiennes (le froid, la faim, la survie) pour raconter l’histoire d’une solitude confrontée à une nature hostile avec laquelle le protagoniste fait corps et se confond. Car la mine est aussi un ventre salvateur et l’enfouissement sous des mètres de neige pendant cinq longs mois une sorte de gestation où la folie se repose.
La nature est impitoyable : du vallon escarpé dévalent des éboulis et des torrents en été, en hiver des avalanches qui ensevelissent tout et rendent, à la fonte des neiges, détritus, arbres brisés, animaux démembrés et congelés et même… un pied d’homme.
Que fera de ce pied Adelmo Farandola ? A qui appartient-il ? La mémoire nébuleuse d’Adelmo lui permettra-t-elle de se souvenir ?
Le livre de Claudio Morandini est un livre âpre qui a la dureté de la pierre mais où la vie palpite, dépouillée de tout sentimentalisme, et où l’humanité bien tapie au plus profond de la solitude a la fragilité d’un souffle. L’écriture est à l’image de ces hauts sommets. Magnifique.

(Louisette Clerc, Afivi.fr)

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